L. Harambourg. Une mise en abîme du réel

Naftali Rakuzin a élu le livre comme sujet récurrent de sa réflexion picturale. Au-delà de la surprise visuelle qui piège notre regard, l’artiste nous immerge dans le monde de la peinture. Sur des rayonnages, les livres se serrent selon un alignement dont seule la différence d’épaisseur des dos introduit un mouvement que confirment les hauteurs variées des lettres constitutives des titres des ouvrages dont le dénominateur commun est d’appartenir au monde de l’art. Peintre de la vie tranquille, d’une réalité immobile avec ses natures silencieuses, tranquilles still-leben, Rakuzin bâtit des architectures de livres, sans profondeur, frontales, intimidantes par leur accumulation méthodique. L’étonnante justesse de leur description, le réalisme avec lequel le dessin et la couleur se rejoignent pour une réalité somme toute ordinaire introduisent l’idée de la fragilité alors même que le peintre échafaude une composition minutieuse ne laissant rien au hasard. De cet exercice technique, aussi fascinant soit-il, s’impose un langage qui n’appartient qu’à lui. C’est que chaque tableau est l’objet d’une exploration matiériste pour des variations infinies. Le peintre rêve une matière. Sensuelle et riche, l’huile est le médium par lequel s’expriment la présence troublante du livre, la tactilité du papier et son exaltante évidence dans la fragilité de la lumière.

La rigueur du travail de peinture que précède un dessin au crayon de couleurs, se nourrit de la présence vibrante des livres, dont le sujet est moins dans l’obsolescence et l’usure anticipée due au temps, qu’à l’égale luminosité, claire, ample venant caresser la finesse des profils des tranches.

A la lecture des noms des artistes qui y figurent, c’est toute l’histoire de l’art qui accompagne Jane Roberts, puisque c’est de sa bibliothèque qu’il s’agit. Cet ensemble soudainement déplacé, isolé de son contexte apparaît comme la dépouille d’une « vanité » qui prend chair d’une nouvelle peau dans notre double mémoire, rétinienne et intellectuelle.

Les reliures de Naftali Rakuzin épousent les modelés des formes, dont une alchimie picturale exprime le grain mat, les transparences et les luisants des lettres rythmées en suggérant ce qu’elles dissimulent sous leur pellicule. Avec ce vocabulaire, Rakuzin nous met à l’écoute de la peinture, et poursuit une tradition de la représentation de l’objet dans le registre symbolique et une mise à distance à travers sa proximité même.


*A propos de l'auteur: Lydia Harambourg, Membre correspondant de l’Académie des Beaux-Arts, Critique Historienne de l’art