Tout au monde existe pour aboutir à un livre.

Mallarmé


Je suis né parmi des livres, ils ont toujours été mon environnement naturel. Je ne peux pas imaginer de vivre dans une pièce où il n’y aurait ne serait-ce qu’une seule étagère remplie de livres. Ce n’est pas seulement une nécessité culturelle, c’est un besoin physiologique.

Les voilà, mes livres qui m’observent des rayonnages. J’en ai ramené bon nombre de Moscou, il y a très longtemps, d’autres ont été achetés dans des villes où je vivais ou séjournais. Certains sont plus vieux que moi, je les ai reçus en héritage, d’autres ont été acquis récemment. Il y a des volumes usés jusque la corde à force d’être lus et relus, d’autres sont encore tout neufs…

Je les regarde en me rappelant où je les ai achetés, je me souviens de gens et d’événements qui y sont rattachés. Voici les livres illustrés par mon père : Henrik Ibsen, Anatole France, Georges Sand. Là, « Les voyages de Gulliver » avec des illustrations de Granville. Mon tout premier dessin dont je me rappelle fut une copie de la couverture de ce livre : un géant en costume ancien se tient debout, et une multitude de lilliputiens grouille entre ses jambes largement écartées. Ici, des albums d’artistes que je consulte régulièrement, et là, ce sont d’autres, que je n’ai feuilleté qu’une ou deux fois. Des factures impayées sont rangées à côté d’œuvres complètes de Léon Tolstoï. L’invitation à l’exposition d’un ami peintre est coincée entre Flaubert et  «Don Quichotte».  Les eaux fortes  de Rembrandt on trouvé place entre les gravures de Dürer et de Callot. Une pile de vieilles lettres s’est blottie contre  «La philosophie chinoise», et l’album de Tom Wesselmann lance un clin d’œil amical à Nabokov…

Parfois j’essai de mettre un peu d’ordre sur mes étagères, de trouver un système de classement pour mes livres. Mais toutes mes tentatives sont vouées à l’échec, les livres résistent et moi, j’oublie toujours où est rangé celui que je cherche en ce moment. Il n’y a plus de place pour mes nouvelles acquisitions, je les coince les uns par-dessus les autres, ou je les entasse sur des tables…

Les livres sont les premiers à me saluer le matin, quand j’ai la tète ailleurs. Le soir, à la lumière électrique, lorsque j’essaie d’y trouver quelque chose de nouveau et de passionnant, ils me regardent en rechignant… Tous ces livres sont à moi, je connais très bien chacun d’entre eux. Tel l’élève assidu d’une yeshiva, qui répète toujours les mêmes textes du Talmud, je reviens encore et toujours vers les mêmes livres…


Naftali Rakuzin, 1981 - 2012